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14 h 30
Constance Brielle avait localisé Sqweegel.
En tout cas, elle en était presque certaine.
Elle avait remonté la piste de la plume d’oiseau trouvée chez Dark : elle provenait d’un bouvreuil des Açores, le plus rare qui soit. Introuvable aux États-Unis, où son commerce était interdit. Il figurait également sur la liste des espèces menacées d’extinction.
Il n’y avait qu’une boutique dans toute la région connue pour vendre des bouvreuils ; Constance avait trouvé le nom du magasin de Woodland Hills – Le Névrotique des Exotiques – dans un forum sur Internet spécialisé dans les bouvreuils.
Naturellement, Le Névrotique des Exotiques ne clamait pas sur les toits qu’il vendait des espèces d’oiseaux en voie de disparition. Les trafiquants préféraient, comme le découvrit Constance, utiliser des noms de code. Tel que celui-ci : Bouvreuil de Californie, 1 100$.
Après sa visite à la boutique qui lui avait confirmé qu’on y vendait bien des « bouvreuils de Californie », Constance exposa sa théorie à Dark. Le nom de code était facile à déchiffrer pour les amateurs d’oiseaux.
CA était l’abréviation usitée pour l’État de Californie. Et, de CA à AC et Açores, il n’y avait qu’un pas, facile à franchir pour qui voulait se procurer illégalement un oiseau aussi rare que convoité.
Le tout était de savoir qui avait récemment acheté ce spécimen. Et s’il avait utilisé une carte de crédit.
La DAS n’était pas censée être en mesure de se plonger dans les comptes des entreprises privées, encore moins sans mandat. Mais, depuis la promulgation du Patriot Act, il suffisait d’invoquer la raison d’État ou le soupçon de terrorisme pour passer outre l’autorité judiciaire, et Constance aimait profiter de temps en temps de ce flou.
Le personnel de la DAS comptait un expert en sécurité informatique, Ellis, particulièrement doué pour s’infiltrer dans les relevés de cartes bancaires. Dis-moi ce que tu achètes, je te dirai qui tu es. L’idéal pour profiler un suspect.
— Ellis ? demanda-t-elle.
— Constance, répondit-il d’une voix un peu tremblante.
Elle se rendit compte qu’elle était peut-être la seule femme à lui adresser la parole depuis des semaines.
— Je vais vous donner le nom d’une animalerie.
— Et je vais enfreindre la loi, acheva-t-il. Je sais, je sais. Allez-y.
Il tapa le nom sous sa dictée, et ils apprirent rapidement qu’un certain nombre de « bouvreuils d’Arizona » avaient été vendus au même client au cours des trois derniers mois.
— Vous voulez sûrement que je jette un œil à son compte pour obtenir son adresse ? demanda Ellis.
— Si ça ne vous ennuie pas.
— Bien sûr, mais il faut que vous me disiez… Ça concerne Sqweegel ?
— Ne vous souciez pas de ça.
Ellis pianota comme un virtuose sur son clavier.
— O.K. On a une boîte postale. Vous voulez l’adresse enregistrée ?
— Ce serait parfait.
— C’est Sqweegel, n’est-ce pas ? Allez, vous pouvez me le dire.
— Oui, et je vais vous envoyer sur sa piste tout seul dès que vous m’aurez donné l’adresse. Allez, c’est de la routine, vous savez bien.
Il finit par la lui donner. Constance le remercia avant qu’il ait eu le temps de l’inviter à dîner ou à prendre un verre au Standard. Elle avait commis l’erreur de faire copain-copine avec lui lorsqu’il avait été engagé, croyant qu’avoir un informaticien chevronné dans sa poche serait un avantage. Elle ne s’y était pas trompée. Seulement, Ellis n’avait pas eu l’air de comprendre que c’était tout ce qui l’intéressait chez lui. Et, depuis, leur relation professionnelle avait été une longue valse-hésitation.
Pas grave, elle tenait enfin un nom : Kenneth Martin.
Ainsi qu’une adresse.
Peu importait ce qu’elle avait raconté à Ellis. Se pouvait-il que ce soit Sqweegel ?